des fleurs de tendresse

La vie de Moïse

Écrit Apocryphe Rabbinique....

des fleurs de tendresse


 Dans son Dictionnaire Philosophique, Voltaire écrit ceci : Quelques-uns de ces vieux manuscrits hébraïques furent tirés de la poussière des cabinets des Juifs vers l'an 1517. Le savant Gilbert Gaulmin, qui possédait leur langue parfaitement, les traduisit en latin vers l'an 1635. Ils furent imprimés ensuite et dédiés au cardinal de Bérulle. Les exemplaires sont devenus d'une rareté extrême. Jamais le rabbinisme, le goût du merveilleux, l'imagination orientale, ne se déployèrent avec plus d'excès.
 
 

                                            EXTRAITS :

 
   Fragment de la vie de Moïse.

Cent trente ans après l'établissement des Juifs en Égypte, et soixante ans après la mort du patriarche Joseph, le pharaon eut un songe en dormant. Un vieillard tenait une balance: dans l'un des bassins étaient tous les habitants de l'Égypte, dans l'autre était un petit enfant, et cet enfant pesait plus que tous les Égyptiens ensemble. Le pharaon appelle aussitôt ses shotim, ses sages. L'un des sages lui dit: « O roi! cet enfant est un Juif qui fera un jour bien du mal à votre royaume. Faites tuer tous les enfants des Juifs, vous sauverez par là votre empire, si pourtant on peut s'opposer aux ordres du destin. »

 Ce conseil plut à Pharaon: il fit venir les sages-femmes, et leur ordonna d'étrangler tous les mâles dont les Juives accoucheraient.... Il y avait en Égypte un homme nommé Amram, fils de Kehat, mari de Jocebed, soeur de son frère. Cette Jocebed lui donna une fille nommée Marie, qui signifie persécutée, parce que les Égyptiens descendants de Cham persécutaient les Israélites descendants de Sem. Jocebed accoucha ensuite d'Aaron, qui signifie condamné à mort, parce que le pharaon avait condamné à mort tous les enfants juifs. Aaron et Marie furent préservés par les anges du Seigneur, qui les nourrirent aux champs, et qui les rendirent à leurs parents quand ils furent dans l'adolescence.

Enfin Jocebed eut un troisième enfant: ce fut Moïse, qui par conséquent avait quinze ans de moins que son frère. Il fut exposé sur le Nil. La fille du pharaon le rencontra en se baignant, le fit nourrir, et l'adopta pour son fils, quoiqu'elle ne fût point mariée.

 Trois ans après, son père le pharaon prit une nouvelle femme; il fit un grand festin; sa femme était à sa droite, sa fille était à sa gauche avec le petit Moïse. L'enfant, en se jouant, lui prit sa couronne et la mit sur sa tête. Balaam le magicien, eunuque du roi, se ressouvint alors du songe de Sa Majesté. « Voilà, dit-il, cet enfant qui doit un jour vous faire tant de mal; l'esprit de Dieu est en lui. Ce qu'il vient de faire est une preuve qu'il a déjà une idée de vous détrôner. Il faut le tuer sur-le-champ. » Cette idée plut beaucoup au pharaon.

 On allait tuer le petit Moïse lorsque Dieu envoya sur-le-champ son ange Gabriel déguisé en officier du pharaon, et qui lui dit: « Seigneur, il ne faut pas faire mourir un enfant innocent qui n'a pas encore l'âge de discrétion; il n'a mis votre couronne sur sa tête que parce qu'il manque de jugement. Il n'y a qu'à lui présenter un rubis et un charbon ardent; s'il choisit le charbon, il est clair que c'est un imbécile qui ne sera pas dangereux; mais s'il prend le rubis, c'est signe qu'il y entend finesse, et alors il faut le tuer. »

 Aussitôt on apporte un rubis et un charbon; Moïse ne manque pas de prendre le rubis; mais l'ange Gabriel, par un léger tour de main glisse le charbon à la place de la pierre précieuse. Moïse mit le charbon dans sa bouche, et se brûla la langue si horriblement qu'il en resta bègue toute sa vie; et c'est la raison pour laquelle le législateur des Juifs ne put jamais articuler.

 Moïse avait quinze ans et était favori du pharaon. Un Hébreu vint se plaindre à lui de ce qu'un Égyptien l'avait battu après avoir couché avec sa femme. Moïse tua l'Égyptien. Le pharaon ordonna qu'on coupât la tête à Moïse. Le bourreau le frappa; mais Dieu changea sur-le-champ le cou de Moïse en colonne de marbre, et envoya l'ange Michaël, qui en trois jours de temps conduisit Moïse hors des frontières.

Le jeune Hébreu se réfugia auprès de Nécano, roi d'Éthiopie, qui était en guerre avec les Arabes. Nécano le fit son général d'armée, et après la mort de Nécano, Moïse fut élu roi et épousa la veuve. Mais Moïse, honteux d'épouser la femme de son seigneur, n'osa jouir d'elle, et mit une épée dans le lit entre lui et la reine. Il demeura quarante ans avec elle sans la toucher. La reine, irritée, convoqua enfin les états du royaume d'Éthiopie, se plaignit de ce que Moïse ne lui faisait rien, et conclut à le chasser, et à mettre sur le trône le fils feu roi.

 Moïse s'enfuit dans le pays de Madian chez le prêtre Jéthro. Ce prêtre crut que sa fortune était faite s'il remettait Moïse entre les mains du pharaon d'Égypte, et il commença par le faire mettre dans un cul de basse-fosse, où il fut réduit au pain et à l'eau. Moïse engraissa à vue d'oeil dans son cachot. Jéthro en fut tout étonné. Il ne savait pas que sa fille Séphora était devenue amoureuse du prisonnier, et lui portait elle-même des perdrix et des cailles avec d'excellent vin. Il conclut que Dieu protégeait Moïse et ne le livra point au pharaon.

 Cependant le prêtre Jéthro voulut marier sa fille; il avait dans son jardin un arbre de saphir sur lequel était gravé le nom de Jaho ou Jéhova. Il fit publier dans tout le pays qu'il donnerait sa fille à celui qui pourrait arracher l'arbre de saphir. Les amants de Séphora se présentèrent: aucun d'eux ne put seulement faire pencher l'arbre. Moïse, qui n'avait que soixante et dix-sept ans, l'arracha tout d'un coup sans efforts. Il épousa Séphora, dont il eut bientôt un beau garçon nommé Gersom.

Un jour en se promenant il rencontra Dieu (qui se nommait auparavant Sadaï, et qui alors s'appelait Jéhova) dans un buisson et Dieu lui ordonna d'aller faire des miracles à la cour du pharaon: il partit avec sa femme et son fils. Ils rencontrèrent chemin faisant, un ange qu'on ne nomme pas, qui ordonna à Séphora de circoncire le petit Gersom avec un couteau de pierre. Dieu envoya Aaron sur la route; mais Aaron trouva fort mauvais que son frère eût épousé une Madianite; il la traita de p.... et le petit Gersom de bâtard; il les renvoya dans leur pays par le plus court.

 Aaron et Moïse s'en allèrent donc tout seuls dans le palais du pharaon. La porte du palais était gardée par deux lions d'une grandeur énorme. Balaam, l'un des magiciens du roi, voyant venir les deux frères, lâcha sur eux les deux lions; mais Moïse les toucha de sa verge, et les deux lions, humblement prosternés, léchèrent les pieds d'Aaron et de Moïse. Le roi, tout étonné, fit venir les deux pèlerins devant tous ses magiciens. Ce fut à qui ferait le plus de miracles.

  L'auteur raconte ici les dix plaies d'Égypte à peu près comme elles sont rapportées dans l'Exode. Il ajoute seulement que Moïse couvrit toute l'Égypte de poux jusqu'à la hauteur d'une coudée, et qu'il envoya chez tous les Égyptiens des lions, des loups, des ours, des tigres, qui entraient dans toutes les maisons, quoique les portes fussent fermées aux verrous, et qui mangeaient tous les petits enfants.

Ce ne fut point, selon cet auteur, les Juifs qui s'enfuirent par la mer Rouge, ce fut le pharaon qui s'enfuit par ce chemin avec son armée; les Juifs coururent après lui, les eaux se séparèrent à droite et à gauche pour les voir combattre; tous les Égyptiens, excepté le roi, furent tués sur le sable. Alors ce roi, voyant bien qu'il avait affaire à forte partie, demanda pardon à Dieu. Michaël et Gabriel furent envoyés vers lui; ils le transportèrent dans la ville de Ninive, où il régna quatre cents ans.

 De la mort de Moïse&emdash; Dieu avait déclaré au peuple d'Israël qu'il ne sortirait point de l'Égypte à moins qu'il n'eût retrouvé le tombeau de Joseph. Moïse le retrouva, et le porta sur ses épaules en traversant la mer Rouge. Dieu lui dit qu'il se souviendrait de cette bonne action, et qu'il l'assisterait à la mort.

 Quand Moïse eut passé six-vingts ans, Dieu vint lui annoncer qu'il fallait mourir, et qu'il n'avait plus que trois heures à vivre. Le mauvais ange Samaël assistait à la conversation. Dès que la première heure fut passée, il se mit à rire de ce qu'il allait bientôt s'emparer de l'âme de Moïse, et Michaël se mit à pleurer. « Ne te réjouis pas, méchante bête, dit le bon ange au mauvais; Moïse va mourir, mais nous avons Josué à sa place. »

 Quand les trois heures furent passées, Dieu commanda à Gabriel de prendre l'âme du mourant. Gabriel s'en excusa, Michaël aussi. Dieu, refusé par ces deux anges, s'adresse à Zinghiel.

Celui-ci ne voulut pas plus obéir que les autres: « C'est moi, dit-il, qui ai été autrefois son précepteur, je ne tuerai pas mon disciple. » Alors Dieu, se fâchant, dit au mauvais ange Samaël: « Eh bien, méchant, prends donc son âme. » Samaël, plein de joie, tire son épée et court sur Moïse. Le mourant se lève en colère, les yeux étincelants: « Comment, coquin! lui dit Moïse, oserais-tu bien me tuer, moi qui étant enfant ai mis la couronne d'un pharaon sur ma tête, qui ai fait des miracles à l'âge de quatre-vingts ans, qui ai conduit hors d'Égypte soixante millions d'hommes, qui aicoupé la mer Rouge en deux, qui ai vaincu deux rois si grands que du temps du déluge l'eau ne leur venait qu'à mi-jambe! va-t'en, maraud, sors de devant moi tout à l'heure. »

Cette altercation dura encore quelques moments. Gabriel, pendant ce temps-là, prépara un brancard pour transporter l'âme de Moïse; Michaël, un manteau de pourpre; Zinghiel, une soutane. Dieu lui mit les deux mains sur la poitrine, et emporta son âme.
 

 C'est à cette histoire que l'apôtre saint Jude fait allusion dans son Épître, lorsqu'il dit que l'archange Michaël disputa le corps de Moïse au diable. Comme ce fait ne se trouve que dans le livre que je viens de citer, il est évident que saint Jude l'avait lu, et qu'il le regardait comme un livre canonique.

La seconde histoire de la mort de Moïse est encore une conversation avec Dieu. Elle n'est pas moins plaisante et moins curieuse que l'autre. Voici quelques traits de ce dialogue.

 MOÏSE.-Je vous prie, Seigneur, de me laisser entrer dans la terre promise, au moins pour deux ou trois ans.

DIEU-Non mon décret porte que tu n'y entreras pas.

MOÏSE.- Que du moins on m'y porte après ma mort.

DIEU. - Non, ni mort ni vif.

MOÏSE. - Hélas! bon Dieu, vous êtes si clément envers vos créatures, vous leur pardonnez deux ou trois fois; je n'ai fait qu'un péché, et vous ne me pardonnez pas!

DIEU.- Tu ne sais ce que tu dis, tu as commis six péchés.... Je me souviens d'avoir juré ta mort ou la perte d'Israël; il faut qu'un de ces deux serments s'accomplisse. Si tu veux vivre, Israël périra.

MOÏSE. - Seigneur, il y a là trop d'adresse, vous tenez la corde par les deux bouts. Que Moïse périsse plutôt qu'une seule âme d'Israël. Après plusieurs discours de la sorte, l'écho de la montagne dit à Moïse: « Tu n'as plus que cinq heures à vivre. » Au bout des cinq heures Dieu envoya chercher Gabriel, Zinghiel, et Samaël. Dieu promit à Moïse de l'enterrer, et emporta son âme.
 

j'arrête ici la "démonstration"
 
 

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