MA MÉRE, L’ESPRIT
On sait que l’esprit est traditionnellement symbolisé par la Colombe. Ce symbolisme est utilisé dans les évangiles canoniques, par exemple dans Mt. 3,16-17. Jésus est donc le fils bien-aimé de l’Esprit-Saint, mais l’Esprit est ici l’Esprit qui manifeste le Père : l’Esprit de Dieu, comme le précise le texte. À noter que ce Père/Esprit n’a pas engendré son Fils bien-aimé, mais qu’il le choisit ; curieuse formulation qui sous-entend une adoption et cadre assez mal avec la notion de Fils unique envoyé par le Père, qu’on trouve si souvent reprise dans les Actes ou les Lettres de Paul.Dans l’évangile de Thomas (et les évangiles canoniques), l’image de la Colombe est associée par Jésus à celle du serpent quand il donne un conseil aux disciples : « Soyez prudents comme les Serpents et ingénus comme les Colombes… ».
Ce double symbolisme animal, Oiseau du Ciel symbole de pureté et Serpent de Sagesse qui gît dans les profondeurs obscures de la Terre nous réintroduit d’emblée dans le monde de la Déesse. En Grèce, Aphrodite était toujours symbolisée, à l’époque de Jésus, par la Colombe. Ce symbolisme de l’oiseau représentant la Déesse s’avère ancien : il a été retrouvé à Chypre, en Crète, en Égypte, à Mergarh, en Syrie, à Ougarit, à Mari, en Anatolie, en toute l’Europe, à Sumer, en Palestine…
De nombreux mythes racontent comme un Dieu Père combat la Déesse Mère pour l’abattre, elle, et ses fidèles, et de lui « couper les ailes ». Le but de ce combat était d’abattre la Déesse Mère, Déesse Oiseau dont les ailes symbolisent le divin, de façon à renverser sa royauté divine et à la réattribuer au Père, qui devient Dieu (unique). L’action retracée par ses mythes se situe ouvertement au moment-charnière où les valeurs se sont inversées en même temps que s’inversaient les valences du divin : du Tout sacré, corps divin de la Mère, au Tout offert aux fils conquérants que légitimaient les Dieux Pères guerriers du nouveau panthéon. Le stade patriarcal suivant était l’élimination de tous les dieux mâles (dieux « païens ») au profit d’un seul, Yahvé, dont la visée conquérante deviendra planétaire avec les chrétiens.
Le symbolisme de la Déesse Oiseau ou Déesse Ailée est ensuite passée dans les récits devenu contes pour les enfants, en engendrant les fées par exemple.
Symbole de sagesse, le serpent était symbole du divin dans tout le monde ancien, avant d’être démonisé dans tous les pays rattaché à la culture biblique/coranique. Oiseaux et serpents symbolisent alors la déesse, et son peuple ; ce qui est aussi le cas pour le poisson. Il fallait alors les combattre pour installer le Dieu Père vainqueur.
Il n’apparaît donc pas fortuit que Jésus offre pour modèle symbolique à ses disciple l’Oiseau et le Serpent : ce faisant, il leur recommande de se rattacher à la Mère divine bafouée et ensevelie, afin de réintégrer dans leur comportement cette partie féminine qui leur permettra de recomposer en eux en être humain total, achevé. La signification du symbolisme de la colombe était parfaitement compréhensible à l’époque où vivait Jésus, puisque le symbolisme colombe/oiseau/serpent/déesse était toujours utilisé, tant en Grèce, qu’en Égypte et dans tout le Proche-Orient, où elle est nommée la Mère divine, la Colombe, Âme du Monde ou Saint-Esprit.Par contre, la virilisation d l’Esprit a eu pour conséquence l’endurcissement mortifère du cœur des humains qui, naguère placés sous la protection de la mère divine, se sont vus embrigadés sous la bannière du Dieu Père guerrier. Ce changement d’orientation s’accompagnait d’une inversion de la morale : d’une religion étayée sur l’amour et le respect du Tout/corps de la mère, à une religion étayée sur la crainte, sous la houlette du Père conquérant qui lâchait sur le monde l’avidité destructrice.
Les évangiles canoniques répercutent largement le fait que l’endurcissement des cœurs était bien une des préoccupation centrales de Jésus comme le montrent des différents passages o~u il s’adresse aux pharisiens et scribes, à ses disciples et particulièrement à Pierre.
C’est pourquoi Jésus devait sans cesse repréciser sa morale d’amour, de compassion, étayée sur le partage, l’humilité et la douceur, en opposition radicale avec l’esprit patriarcal.
On peut en général remarquer que la plupart des symboles appartenant au monde de la Mère divine ont été repris par le judaïsme qui en a renversé le sens ; soit en le démonisant, soit en l’attribuant au Père (comme la montagne jadis siège du divin féminin transmuée en Mont Sinaï o~u résonne la voix de Yahvé). Car pour s’imposer, il fallait bien effrayer les cœurs pour les écarter du culte de celle qui avait représenté le divin au début. Ainsi l’arbre de vie aux fruits de l’immortalité est transformé dans la genèse en arbre vecteur de mort, le serpent est devenu démon et l’eau fertile et féconde est devenue l’eau salée où siègent tous les dangers et le fameux serpent de mer, le Léviathan, que Yahvé doit combattre et le féminin, l’ex-divin devient la cause des maux de l’humanité à travers Eve.
Tous ces symboles par contre ont été réhabilités par Jésus.C’est ainsi que, dans les évangiles canoniques, l’oiseau redevient l’Âme du monde, l’Esprit/Colombe, qui descend de façon protectrice sur Jésus au moment de son Baptême, c’est-à-dire de son immersion dans les Eaux/Mères. Cette immersion de Jésus dans les Eaux Mères, au moment où l’Esprit à forme de colombe descend sur le Fils bien-aimé, apparaît donc comme un rappel au culte antique de la Déesse. Le symbolisme du baptême a été réattribué au Dieu-Père par le canon qui a judaïsé le message, c’est-à-dire conservé le symbolisme utilisé par Jésus, tout en le patriarchalisant.
La conception de l’Esprit-Saint comme esprit du Dieu Père fut reprise par le christianisme officiel, étayée sur Pierre et mis en œuvre par Paul. Pierre était radicalement étranger message novateur de Jésus du vivant de celui-ci et n’a pas manqué après sa mort de rattacher les évènements qui avaient marqué la vie de la communauté, au prophétisme judaïque, versant ainsi malgré les avertissements de Jésus, « le vin nouveau dans les vieilles outres ».Il n’est pas inutile de s’attarder sur l’ « anecdote » qui relate qu’après la trahison et mort de Judas les frères se réunirent pour désigner un autre disciple qui prendrait la place de Judas au sein des Douze. Une note de la traduction œcuménique précise concernant Act. 1,21+26 « avoir été avec Jésus durant sa vie et après sa mort est donc une condition nécessaire pour être adjoint au groupe des douze apôtres… ». Ni les paroles de Pierre ni la note font la moindre allusion aux femmes disciples (Marie Madeleine, Marie, Marthe, Salomé,…) qui ont accompagné Jésus depuis « les temps de Galilée » et qui seules se tenaient auprès de lui quand il mourait sur la croix. Elles ont été purement et simplement effacées du groupe à la tête duquel se place Pierre maintenant.
Ainsi Pierre –et Paul- permettent-ils la reformulation judéo-chrétienne du message de Jésus qui était la réhabilitation du féminin. Cette tragique deviendra définitive avec Paul qui fait de Jésus le fils du Dieu biblique et l’instrument de son jugement et de sa vengeance. Par conséquent, le Christ est venu manifester l’esprit du Père. Jésus se trouve alors intégré au programme guerrier de Yahvé dont il devient le bras vengeur. Cette tonalité conquérante, souvent trouvé dans les épîtres de Paul, axée sur la force et projetée sur la mission de Jésus, est bel et bien celle de l’Ancien Testament. Le message d’amour a été recouvert par le message guerrier. L’amour dont parlait Jésus ne faisait jamais appel à la force et la soumission, mais à la grâce ; ce qui explique par exemple les fréquentes allusions au monde de l’enfance ou celui des femmes.
La religion de Pierre et de Paul (et de l’église officielle après eux) emploient pour parler de l’esprit des métaphores qui frappent, empruntées encore à l’imagerie apocalyptique de l’Ancien Testament (Act. 2,2-3 et Act. 2,18-20). Langage de guerre toujours, auquel fait allusion ce feu vengeur et purificateur qui annonce le règne de Yahvé sur terre. La métaphore guerrière du feu et du sang et des colonnes de fumée est emprunté du judaïsme qui lui-même avait emprunté ces images aux mythes de Sumer décrivant la conquête patriarcale qui frappe comme un déluge de feu le monde de la Déesse.
Cette descente de l’esprit du Père
dans le feu et la guerre s’oppose radicalement
à l’image utilisé dans les évangiles canoniques,
de l’Esprit à forme de Colombe,
symbole de paix et d’amour,
directement emprunté au monde de la Déesse Mère.
Dans l’évangile de Thomas, Jésus expose la hiérarchie entre Père, Fils et Saint-Esprit en disant que le blasphème contre Père et Fils sera pardonné, mais pas celui contre l’Esprit-Saint. On voit ici que l’Esprit n’égale pas le ère, puisque les blasphèmes contre le Père et Fils peuvent être pardonnés ; par contre, le blasphème contre l’Esprit est impardonnable car c’est l’Esprit-Saint qui est primordial. Père et Fils n’apparaissent alors que comme des manifestations de cet esprit divin, duquel tout part et tout revient. Ce que dit Jésus dans l’évangile de Thomas est repris (quoique de façon légèrement différente) dans deux évangiles canoniques. Les écrits canoniques ont conservé ce point central : l’impossibilité de blasphémer contre l’Esprit-Saint.La nouvelle hiérarchie que Jésus était venu instaurer place l’Esprit-Saint au sommet, l’Esprit-Saint qui n’était autre que la Mère divine se trouve donc renversé par la judaïsation du message qui ne vise qu’à restaurer la place et l’autorité du Père.
L’évangile aux Hébreux particulièrement explicite, met dans la bouche de Jésus ces mots : « Ma Mère, l’Esprit. » On retrouve cette conception de l’Esprit-Saint aussi dans l’évangile de Thomas où Jésus dit : « Ma mère a engendré mon corps terrestre, mais ma véritable Mère m’a donné la Vie. » Cette Vie est à entendre dans le sens de vie éternelle ; Jésus a donc reçu la vie éternelle de sa véritable Mère qui est la Mère divine. Dans un autre écrit extra-canonique la Trinité qui incarne la Puissance parfaite est nommé la Mère, le Père et le Fils.
Plus bas dans l’évangile de Thomas on trouve alors ces mots : « L’âme d’Adam naquit d’un souffle, ce qui est synonyme d’esprit. L’esprit qui lui fut ainsi donné est sa Mère. »
Ma Mère, l’Esprit.